Dans cet entretien, la ministre wallonne de l'Énergie, du Plan Air-Climat, du Logement et des Aéroports, Cécile Neven, trace une ligne claire : faire de la simplification le moteur d’une transition praticable pour nos entreprises. De la chaîne de valeur du carbone aux infrastructures énergétiques, elle défend une Wallonie industrielle, compétitive et prête à investir. Une vision ancrée dans le terrain, où stabilité, coopération et lisibilité deviennent les clés pour avancer ensemble.
AKT : Les deux ministres présidents wallon et flamand, ainsi que de nombreuses entreprises industrielles, ont récemment signé une déclaration commune sur le captage et le stockage du carbone. Pourquoi ce dossier devient-il une priorité pour la Wallonie, et qu’est-ce que cela change concrètement pour nos entreprises ?
Cécile NEVEN : La Wallonie doit rester une terre industrielle. Certains secteurs industriels génèrent inévitablement des émissions dites « de process », directement liées aux réactions chimiques propres à leurs procédés de fabrication et indépendantes de toute combustion énergétique. C’est pourquoi le Gouvernement travaille à l’émergence d’une véritable chaîne de valeur du carbone, depuis sa captation jusqu’à son stockage ou son utilisation. Et ce, en mobilisant à la fois les leviers régionaux, fédéraux et européens.
Concrètement, la capture et le stockage de carbone (CCS) offrent une voie réaliste pour continuer à produire ici, plutôt que de voir ces activités partir ailleurs.
Notre rôle politique, ce n’est pas de nous substituer aux industriels, mais bien de créer les conditions pour que ces projets voient le jour : visibilité, stabilité et coopération entre Régions. C’est le sens de la déclaration commune avec les ministres-présidents : un territoire compétitif et décarboné.
Les acteurs industriels soulignent la nécessité de mettre en place un cadre réglementaire propice au déploiement du CCS. Quelles avancées avez-vous réalisées dans la définition de ce cadre ?
Nous avons désigné un gestionnaire de réseau CO₂ et avançons sur un cadre réglementaire complet pour organiser le transport et la gestion du carbone en Wallonie. Nous travaillons aussi à harmoniser les standards techniques, les règles de qualité du CO₂ et les principes de tarification avec nos voisins.
La réussite du CCS demande une excellente coordination entre les différents acteurs et entre les régions. Nous devons offrir aux entreprises un cadre harmonisé et compétitif, que l’on soit à Liège, à Gand, Mons ou à Anvers.
Concrètement, cela signifie une harmonisation interrégionale des dispositifs de soutien – notamment les Contrats Carbone pour Différence -, des procédures d’autorisation et normes techniques cohérentes entre nos Régions et une coordination entre les régulateurs régionaux pour garantir des tarifs transparents et équitables.
Le CO₂ ne connaît pas les frontières linguistiques. Il est donc évident que nos régulations doivent être compatibles, en ce compris sur les aspects techniques et de sécurité.
Nous travaillons déjà à cette convergence avec nos collègues flamands et nos administrations respectives. Et je tiens à le dire clairement : cette coopération ne concerne pas seulement les Ministres de l’Industrie et de l’Économie ou du Budget ; elle concerne aussi ceux de l’Énergie, du Climat, de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement. La responsabilité est collective à l’échelle des deux gouvernements.
Plusieurs fédérations et entreprises demandent d’agir sur les coûts de l’énergie, sur les infrastructures, mais aussi sur les lourdeurs administratives. Quelles actions sont prises à ces égards, et quelles garanties la Wallonie peut-elle apporter aujourd’hui pour sécuriser les investissements industriels, qu’ils concernent le CCS ou d’autres technologies bas carbones ?
Nous agissons simultanément sur trois leviers essentiels.
D’abord, les coûts de l’énergie : nous élaborons une stratégie pour définir le mix énergétique optimal en Wallonie — électricité, chaleur, hydrogène, gaz et captage du CO₂. Objectif ? Utiliser chaque vecteur là où il est réellement pertinent et calibrer les mécanismes de soutien pour éviter les surcoûts pour les entreprises, comme pour les ménages.
Ensuite, les infrastructures : nous soutenons la mise en place d’une infrastructure de transport du CO2 et renforçons nos réseaux électriques, tout en élaborant un cadre global sur la flexibilité et les mécanismes de raccordement, indispensables pour sécuriser l’approvisionnement énergétique et intégrer davantage de production renouvelable.
Enfin, la simplification administrative : la Wallonie mène une réforme d’ampleur inédite pour restaurer la confiance des investisseurs, être plus efficace avec l’argent public et offrir des procédures plus lisibles et prévisibles.
Vous avez affirmé vouloir répondre davantage aux besoins du terrain, notamment dans la rénovation et l’efficacité énergétique. Quels outils ou simplifications allez-vous renforcer pour aider les PME et les plus grands sites à avancer plus vite dans l’amélioration de leurs procédés ? Comment allez-vous soutenir les métiers de la rénovation en Wallonie ?
Nous sommes en train de recalibrer les dispositifs existants pour qu’ils soient plus lisibles, efficients et centrés sur l’impact.
Prenez l’exemple de la rénovation du bâti. Notre priorité est de simplifier, stabiliser le système et surtout de le rendre soutenable — car 120 primes différentes c’est trop, c’est illisible, insoutenable budgétairement, et impossible à traiter, tant par les citoyens que par les administrations. Nous élaborons actuellement un système global de soutien à la rénovation, qui sera basé sur 3 piliers : modalités de soutien, obligations de rénovation et modalités d’accompagnement. Ce nouveau système entrera en vigueur au 1er octobre 2026.
Nous soutiendrons également les métiers de la rénovation, essentiels pour atteindre nos objectifs.
Beaucoup d’entrepreneurs veulent s’engager dans la transition, mais sans complexité supplémentaire. Quelle est votre vision pour une transition « praticable », qui tienne compte des réalités des secteurs et des territoires wallons ?
Il faut des règles stables et prévisibles, mais aussi des obligations réalistes, fondées sur des données objectives. Cela a cruellement manqué auparavant.
Notre approche privilégie des soutiens ciblés, là où ils ont le plus d’impact, et une logique de résultats plutôt qu’une succession d’injonctions.
La transition doit être un chemin praticable pour tous, pas une accumulation de contraintes supplémentaires.
Dans un contexte européen très compétitif, comment la Wallonie peut-elle renforcer son attractivité pour garder, et attirer, des projets industriels ?
Nous voulons envoyer un signal très clair : la Wallonie est prête à accueillir de nouveaux projets. Pour cela, nous construisons un cadre énergétique stable, des procédures administratives plus rapides, une réglementation plus lisible et une cohérence renforcée entre les politiques d’énergie, de climat, d’aménagement du territoire, d’environnement et d’industrie.
La simplification, la prévisibilité et la rigueur budgétaire sont au cœur de notre action. Les entreprises n’ont pas besoin d’être sur-subventionnées : elles ont besoin d’un cadre clair et stable pour investir et se développer.
La transition énergétique, climatique et environnementale offre-t-elle une opportunité pour les industries wallonnes ?
Oui, mais à une condition essentielle : que l’Europe reste compétitive. C’est d’ailleurs le message que j’ai porté ces derniers mois au niveau du Conseil Environnement ou encore à la COP30, à Belém.
Si nous voulons que nos industries puissent tirer parti de la transition, il faut s’en donner les moyens. C’est cela qui permettra à nos entreprises d’investir, d’innover et de créer de l’activité chez nous, plutôt que de voir ces projets partir ailleurs.
Je pense d’ailleurs qu’il faut une pause paperasse. Un des problèmes de l’Europe, c’est l’empilement incessant de législations et une précipitation qui n’est pas en phase avec les réalités du quotidien.
Je suis une Européenne convaincue. Mais il faut un sursaut. La Commission le reconnaît. Il faut désormais passer aux actes. En effet, sans une Europe forte, capable de protéger son industrie face à la concurrence, la transition risque de se faire au détriment de notre tissu économique et des citoyens.
Si vous deviez retenir une seule priorité pour accélérer la transition tout en soutenant la croissance de nos entreprises, laquelle serait-ce ?
La simplification. Pour les citoyens et pour les entreprises.
Aller plus loin : Le monde politique et celui des entreprises concluent pour la première fois un accord sur le captage du CO₂