A part la Pologne, aucun autre État de l’Union européenne ne fera mieux que l’Espagne en termes de croissance cette année. La Commission européenne, dans ses prévisions de novembre, table sur une croissance de 2,9% cette année, alors qu’elle ne compte que sur un taux de 1,4% pour l’UE. Analyse de Bernard Keppenne, Chief Economist chez CBC.

Un petit retour en arrière s’impose. En 2012, l’Espagne a dû mener un véritable programme d’austérité au moment de la crise de la dette en zone euro. Cette crise fait suite à la crise des subprimes, qui a entraîné une crise immobilière particulièrement aiguë en Espagne. L’Espagne, et d’autres pays comme l’Italie et la Grèce, ont alors traversé cinq années de récession avec une perte de pouvoir d’achat des ménages d’environ 30 pourcent.

Alors qu’elle commençait à se redresser, elle va être durement touchée par la crise Covid, l’économie espagnole va en effet connaître une chute de son PIB de 10,8% en 2020, la plus forte chute dans la zone euro, affectée plus que les autres pays par l’arrêt total du tourisme.

Ce désastre économique s’est transformé en nouveau départ, au prix de lourds sacrifices mais aussi d’une refonte de l’économie.

Les moteurs du rebond espagnol

Pour comprendre cette reprise, il faut garder en tête la période qu’a traversé le pays et surtout les sacrifices qu’a consentis la population.

Aujourd’hui, comme le montre le graphique ci-dessous, la consommation des ménages reste le principal moteur de la croissance. Elle bénéficie d’un marché du travail dynamique et d’une confiance des ménages relativement élevée.

L’économie espagnole bénéficie aussi de l’apport de l’investissement privé dans les domaines de la construction et des infrastructures, soutenu par les fonds européens (NextGenerationEU).

Si l’Espagne a pu bénéficier de ces fonds, c’est, d’une part, parce qu’ elle a été particulièrement affectée par la crise Covid. Et, d’autre part, c’est parce qu’elle a mené des réformes économiques ces dernières années (flexibilité du marché du travail, digitalisation, transition énergétique) qui ont amélioré la compétitivité et la productivité de son économie.

Ces réformes ont permis une meilleure absorption des chocs externes et une attractivité accrue pour les investissements étrangers.

Au-delà des investissements, l’Espagne bénéficie aussi d’une immigration importante, surtout sud-américaine, qui s’intègre rapidement au marché du travail. Cette dynamique soutient le marché de l’emploi et compense le vieillissement démographique, ce qui favorise la consommation.

Un élément à prendre en considération, qui est un facteur externe, concerne la reprise du tourisme international après les perturbations des années précédentes et qui a été un facteur clé, renforçant la balance des paiements.

Cet élément a soutenu le secteur des services qui contribue largement aux exportations, combinées avec un secteur industriel qui s’est fortement développé et surtout qui a diversifié ses expositions géographiques.
Conséquence de cette forte reprise, en 2024, le déficit est tombé à 3,2% du PIB et pourrait atteindre 2,5% en 2025. Le ratio dette/PIB devrait tomber à 100,0% en 2025. Avec comme effet positif que grâce à la réduction du déficit, le ratio devrait continuer à diminuer en 2026 et passer sous la barre des 100% pour la première fois depuis 2019.

La recette espagnole

Contrairement à l’Allemagne et à l’Italie, qui souffrent de contraintes structurelles (industrie exposée, faible demande intérieure), l’Espagne combine flexibilité, diversification sectorielle et soutien européen, ce qui explique son surcroît de croissance.

Et surtout, cela repose sur un mix équilibré entre demande intérieure, réformes structurelles, immigration, et dynamisme des services, ce qui lui donne un profil plus résilient que ses voisins.

Après des années d’expansion solide, et malgré une demande intérieure qui devrait être le principal moteur de la croissance en 2026-27, cette dernière devrait ralentir, la Commission tablant sur un taux de 2,3% en 2026 et de 2% en 2027. Mais ces taux resteront largement supérieurs à ceux de la zone euro.

L’Espagne illustre comment réformes structurelles, diversification et soutien européen peuvent transformer une économie fragilisée en moteur de croissance.